Jour 14 : Elephant Island – Iceberg A23a
Nuit assez agitée. Au réveil nous avons en visuel l’île Éléphant et il fait beau. La température extérieure est de 2°C, mais le vent fort donne la sensation qu’il fait beaucoup plus froid.
Après le petit déjeuner, alors que nous croisons à proximité de l’île, nous avons la chance d’assister à un spectacle grandiose : des dizaines de rorquals communs (Fin Whale) stationnent dans la zone, très riche en krill. Le rorqual commun est le deuxième plus grand cétacé (après la baleine bleue), avec une longueur pouvant atteindre 27 mètres.
Les baleines sortent à peine de l’eau mais c’est impressionnant de voir un peu partout des souffles de vapeur quand elles expirent à la surface.
Les restes de leur repas attirent de nombreux oiseaux : cormorans, goélands, albatros, prions, fulmars, pétrels et manchots entre autres. C’est assez magique et malgré le froid, tout le monde est sur le pont, appareil photo ou jumelles vissés aux yeux. Nous avons la chance d’être dans une poche de météo clémente cernés de tous côtés par des nuages noirs très menaçants.
Petit topo sur l’île Éléphant, célèbre pour avoir été le lieu du sauvetage épique de l’équipage du navire l’Endurance. L’anglais Sir Ernest Shackleton, le capitaine du navire, avait échoué dans sa tentative d’être le premier homme à atteindre le pôle Sud, il a ensuite essayé en 1914 d’être le premier à diriger une expédition en Antarctique. Son plan était de traverser le continent de la mer de Weddell à la mer de Ross. Mais son navire, l’Endurance, est resté coincé dans la banquise de la mer de Weddell et a dérivé tout l’hiver avant d’être broyé par la glace et couler le 21 novembre 1915. Shackleton et ses hommes ont réussi à atteindre l’île Éléphant. De là, il est parti avec cinq hommes dans un bateau de 6 mètres, pour parcourir environ 1 300 kilomètres jusqu’à la Géorgie du Sud. Shackleton et deux de ses hommes ont ensuite traversé l’île (sans nourriture, sans eau ni abri) pour atteindre la station baleinière de Stromness Bay. Pendant ce temps, les vingt-deux hommes restés sur l’île Éléphant ont survécu en utilisant des bateaux retournés comme abris. Après plusieurs tentatives infructueuses, Shackleton est revenu les secourir dans le chalutier chilien Yelcho.
L’équipage du Hondius sert du chocolat chaud arrosé de rhum à ceux qui le souhaitent alors que notre bateau a marqué l’arrêt au niveau de Point Wild, là où les rescapés ont survécu plusieurs mois dans des conditions très difficiles. Quand on voit la physionomie de l’île, ses montagnes escarpées recouvertes de neige et de glace, on imagine sans mal les difficultés qu’ils ont dû surmonter pour ne pas mourir de froid et de faim.
Nous reprenons ensuite la mer et nous suivons dans le salon une série de présentations tout d’abord sur les rorquals et l’endroit très particulier près de l’île Éléphant où ils se regroupent pour manger (une petite vidéo de la BBC nous permet de voir du ciel le ballet de baleines que nous avons eu la chance de voir depuis la mer), ensuite sur les icebergs et la façon dont ils sont nommés. L’antarctique est découpé en quatre cadrans de A à D. Le nom d’un iceberg commence donc par une lettre correspondant à son origine géographique, suit un nombre (ordre chronologique dans la zone) et une dernière lettre (a pour l’iceberg d’origine puis, b, c, d, etc. lorsqu’il va se scinder en différents morceaux).
La dernière présentation s’intéresse à une autre face de l’expédition ratée de Shackleton, l’histoire des hommes qu’il avait envoyé de l’autre côté de l’Antarctique, en mer de Ross, et qui devaient débarquer, avancer dans les terres et installer des dépôts de nourriture et de matériel pour l’équipe de traversée menée par Shackleton. Ces hommes ont été forcés par la météo à hiverner au Cap Evans et à Hut Point, plusieurs de ceux qui sont partis à pied n’ont pas survécu. Les rares survivants n’ont été secourus qu’en 1917 et ils ont été retrouvés en très mauvais état physique et mental. On est loin du sauvetage de l’équipage de l’Endurance et ceux-là ont un peu été oubliés de l’histoire.
En fin d’après-midi, nous passons à proximité de l’iceberg A23a qui s’est détaché en 1986 et qui circule librement depuis mars 2023. Il a emporté avec lui une base d’été russe. Lorsque les scientifiques sont revenus pour la saison, la station avait disparu ! Depuis elle a été déménagée par hélitreuillage et a été installée ailleurs. Le A23a fait deux fois la taille du grand Londres et près de la moitié de la surface de Big Island à Hawaï. 4300 km2 soit un impressionnant glaçon de 74 kms sur 59 Kms. La partie émergée fait à son maximum 40 mètres de hauteur, mais elle ne représente que 10% de la hauteur totale de l’iceberg. C’est un iceberg tabulaire avec une façade creusée d’arches. Tout blanc avec des reflets bleus, on dirait une œuvre d’architecte destinée à une île méditerranéenne. Nous le longeons jusqu’à la nuit
En soirée, téléfilm de la BBC en deux parties sur Shackleton avec Kenneth Branagh dans le rôle principal. Cela fait un peu trop de Shackleton pour moi et je pars avant la fin (Patrice aussi d’ailleurs)
Nuit sur le Hondius